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Alternative Radio

Interview CRABE VERT

Crabe Vert est le nouveau projet de Benjamin Baccara, le violoniste/mandoliniste/cajoniste du trio masqué, Güz II. Pour cette échappée solitaire, il s'est muni de mini synthés, de boites a rythmes et de sa mandoline électrique pour une musique folle entre électro 8-bits, pop barrée et klezmer. Alternative Radio est allé à sa rencontre pour en savoir un petit peu plus...

Salut Benj,

On t’a toujours connu en groupe (Güz II, Spiel, Un Chat Un Chat, Bogues…), comment a germé l’idée de ce nouveau projet en solo, Crabe Vert ?

Salut Nyko ! C'est vrai j'ai toujours joué en groupe, j'adore l'émulation de composer à plusieurs avec des copains/collègues. Là j'ai eu envie de voir si cette émulation existait en solo. Et bien oui ! Même si elle est différente. Parce qu'entre le kiff de jouer tout seul chez soi et monter un répertoire, il y a tout un processus pour arriver à quelque chose d'à peu près présentable. C'est assez grisant d'être seul aux manettes de cette démarche.

La deuxième raison vient également de l'envie d'aller à mon rythme. De pouvoir avancer parfois vite, ou de laisser reposer quand je veux. Dans un groupe, il y a toujours des galères d'agenda, de disponibilités, des fois d'envies différentes avec lesquelles il faut dealer, et qui prennent du temps à être résolues. Là je fais ce que je veux, quand je veux et, même si ça n'exclut pas les doutes, je suis globalement d'accord avec moi-même héhé.

Ensuite, l'idée a germé lentement ces trois dernières années. En 2020, pendant les deux mois de confinement je me suis retrouvé, comme beaucoup, en appartement avec ma compagne et mon fils. Peu de temps avant, une amie m'avait prêté plein de petit matos, dont des boîtes à rythme, quelques synthés etc. Quand tu vis en immeuble, c'est bien souvent galère d'être musicien acoustique (pauvres voisins!). Je me suis donc mis à utiliser ces joujoux au casque quand tout le monde dormait, d'abord en guise de passe-temps. C'était complètement nouveau pour moi, car je viens vraiment des instruments acoustiques, du violon, de la mandoline et des percussions. En peu de temps, j'ai plongé dans l'univers des séquenceurs, des boites à rythme, des synthétiseurs bon marché ou autres joyeusetés électroniques d'occasion. Je suis encore bien loin d'en appréhender tous les aspects tellement c'est énorme, et je me sers juste de ce dont j'ai besoin. Comme beaucoup également, je me suis amusé à faire quelques vidéos DIY un peu cheap avec tout ça. J'en ai maté énormément.

Sans exagérer, ça m'a beaucoup aidé à supporter cette période qui fut très compliquée pour nous, et l'est d'ailleurs toujours puisque, pour des raisons de santé, on a un profil identifié « à risque » face à la pandémie, encore en 2023. Bien sûr l'enfermement était un peu pesant, mais d'autres problématiques nous concernaient alors, et continuent de nous animer, même si tout le monde est passé à autre chose et rechigne à en parler. Finalement il y a quelque chose de très simple dans ces machines qui certainement me rassure, au milieu du merdier général. Je peux pas nier cette raison, elle est à la base du projet en fait. C'est un peu un échappatoire, mon macramé perso quoi. Et puis quand même, faire mumuse avec des jouets qui font blipbloupprout, c'est tellement fun ! Au bout de trois ans et une petite vingtaine de vidéos, sur lesquelles on ne voit que mes mains, mes gadgets, et parfois mes pantoufles, je me suis dit « tiens et si je faisais une formule live pour montrer la gueule de ce type en charentaises ? ».

Peux tu nous parler plus en détail du PO-35, cette petite machine aux sons complètement fous que tu utilises pour ce projet ?

Le PO-35 (pour Pocket Operator) est un mini-synthé vocal et un séquenceur en même temps, en forme de calculette. C'est Teenage Engeneering, une marque suédoise, qui propose une dizaine de ces modèles d'entrée de gamme, qui ont tous des fonctionnalités différentes. C'est le low-cost des produits de cette enseigne, qui propose sinon d'autres synthés plus performants, et qui craque bizarrement son slip depuis quelques temps en vendant genre des bureaux en formica à 1600€ (véridique!). Bref, la spécificité de ce PO-35 est la synthèse vocale. Ca veut dire que je peux enregistrer ma voix via un petit micro intégré, et ensuite la modifier en bidouillant plusieurs paramètres plus ou moins précisément (hauteur, timbre, bruit, effets etc...). Ca dézingue la tronche du son d'origine, ça le salit, et ça donne des choses assez amusantes en peu de temps. C'est d'ailleurs ma voix qu'on entend dans la vidéo « Sausage », réalisée par mon ami Gilles Pensart. J'ai enregistré une octave, je l'ai triturée un peu et c'est devenu mon matériau de base pour la mélodie du morceau. Je me sers également d'un autre pocket, de deux petits synthés, et d'une vieille MPC portable, qui est une machine permettant d'envoyer des séquences musicales que j'ai composées, à base de sons samplés et typés vieux jeux d'arcade ou autres sonorités un peu rétro.

C'est marrant, car dans le monde des geeks de matos, synthés et autres, qui sont très actifs sur les réseaux sociaux ou les forums, ce genre de matériel est assez peu considéré, voire méprisé ou moqué. C'est pas très cher, donc les paramètres de modification des sons sont limités, ou un peu grossiers, c'est parfois pas évident à insérer dans un environnement hardware d'autres marques, c'est pas super ergonomique etc. Il y a presque une sorte de mépris de classe de ceux qui possèdent les trucs à what-mille-boules envers ceux qui achètent ce qu'ils peuvent avec leur porte-monnaie, et dont la communauté sur internet est finalement souvent plus sympa. Ils étaient d'ailleurs tout content quand ils ont appris que Sleaford Mods avait utilisé un PO comme base du morceau Mork n Mindy ! Moi j'aime bien le matos qui a des limites, c'est hyper stimulant de chercher comment les contourner pour essayer de faire un truc cool. En plus franchement, ça peut quand même faire pas mal de choses musicalement. La MPC500 que j'ai chopée d'occase, car c'est une machine qui date de 2006, bah ça reste une MPC. C'est l'instrument principal de plein de beatmakers depuis les années 80/90, on peut faire énormément de choses avec, même si le workflow est pas super évident sur ce modèle. De toutes façons j'ai pas de thunes. Si je gagne à l'euro-million, j'achèterais certainement les gammes au-dessus. Enfin sans doute après la maison dans le Finistère nord...

 

Comment composes tu pour ce projet ? Laisses-tu libre court à l’improvisation ou au contraire tout est très structuré ?

La base, c'est presque toujours une rythmique que je créé sur l'une des machines, puis un temps plus ou moins long d'improvisation pour trouver une grille ou un pattern, voir comment les bidules se placent les uns par rapport aux autres en terme d'arrangement, et un enregistrement pour m'en souvenir. Je réécoute à froid, je garde ce que j'aime bien, je vire les longueurs ou les trucs moins bien, et finalement je parviens à une forme qui me convient, et sur laquelle je vais quand même continuer à m'amuser pour trouver des variations dans la manière de jouer. Comme chacune de mes machines peut faire plusieurs choses (rythme/basse/mélodie/accords etc), mais de façons différentes, je le vois presque comme si je jouais avec plusieurs multi-instrumentistes plus ou moins doués dans certains rôles. Et moi je suis le leader autoritaire qui leur dit « toi tu fais ça, toi tu fais ça mais t'évites de faire ça parce que tu sais pas le faire et c'est un peu moche, toi bravo tu joues très bien ta partie, toi tu te tais à tout jamais ! Ah, toi t'es un peu cassé je t'ai trop tapé dessus...» héhé. Par contre, c'est pas comme les humains, si les machines se plantent, elles peuvent pas se rattraper, et en fait bah c'est ta faute, c'est toi qui les a mal gérées.

Et dans tout ça, j'insère des petits moments d'improvisation, soit à la mandoline électrique avec quelques effets, sur laquelle je suis plus à l'aise car je la pratique depuis longtemps, soit sur les machines, par exemple avec quelques mouvements de filtres ou bien du jeu live sur les pads ou les claviers.

 

Il y a quelques années, une amie me parle d’un super morceau découvert à la radio, «das model» de Crabe Vert... Bien sûr il s’agissait de Kraftwerk... Crabe Vert, clin d’œil à ce fameux groupe allemand ?

Bien vu ;-) J'ai toujours galéré à prononcer Kraftwerk ! Après, ça reste un clin d'oeil, car la musique que je fais n'a pas beaucoup de points communs avec la leur, si ce n'est l'utilisation de machines, et ça serait prétentieux de se comparer à un groupe aussi précurseur dans l'histoire des musiques électroniques. Moi je bidouille seulement ! Puis comme je vis en Bretagne, pas très loin de la mer, on en voit pas mal, des crabes verts. Ca se trouve c'est mon animal totem ! Faudrait que je demande à un chaman énergéticien pour savoir.

 

Tu as prévu de tourner avec ce projet ? Sous quelle forme ? Une tournée des plages ?

Actuellement, j'ai grosso modo 45 minutes de musique. Là, je suis à la phase où j'essaye de filer le set dans son ensemble. C'est un petit défi car j'ai pas mal de manip à effectuer, dues aux limitations du matériel. Ca commence à fonctionner.

Une fois que les enchaînements seront un peu plus fluides, oui le but sera de jouer en live. Je me suis équipé afin de pouvoir être totalement autonome en technique, au niveau de la diffusion du son aussi, avec une bonne enceinte sur batterie qui peut envoyer un peu. Je serai capable de jouer là où il n'y a pas de courant. Après, cette enceinte a aussi ses limites, je peux pas pousser le son aussi fort que sur un système de diffusion de concert. Et pour le moment j'en ai d'ailleurs pas trop envie, car avec tout mon bazar, j'aime bien avoir la main facilement sur le son qui sort, je veux pas prendre trop de risques à péter les oreilles des gens avec mes expérimentations dans une grosse façade haha. Ca sera peut-être un futur travail avec un technicien son, et avec un équipement différent, sans doute après l'euro-million.

Pour les lieux, je privilégierai les spots en plein air ou bien aérés. J'ai dans l'idée de tenter un peu de rue ou quelques marchés cet été, juste pour voir. J'arrive un peu tard dans la saison pour être programmé, mais cette formule serait adaptée je pense au réseau de rue et à ses festivals. Je pourrais aussi tenter une formule plus light encore, capable de déambuler. Je peux jouer dans les jardins des gens s'ils veulent une ambiance chelou pour leurs apéros. Bref, j'ai envie de faire plein de trucs ! Sinon carrément, je kifferais faire une tournée des plages avec Crabe Vert, je sais pas si les offices du tourisme de Bretagne ont un budget pour programmer ce genre de zic :-)

 

As-tu des sources d’inspiration pour Crabe Vert ?

Bah plein ! Ce qui est marrant, c'est que j'écoute pas des masses de musique électronique pure et dure. J'en ai écouté plus jeune, un peu. Je me souviens de claques sonores avec Venetian Snares ou autres trucs sauvages. Mais sinon pas tant. Après, au sein d'albums de groupes que j'affectionne et qui ne font pas que de la musique électronique, je pourrais trouver des choses inspirantes. Je suis un fan bêta de Radiohead, qui ont un paquet de morceaux électro parfaitement ciselés. J'aime bien les petits passages drum'n bass dans certains albums de Secret Chiefs 3, même si c'est pas ce que je préfère dans leur musique. Des artistes de la scène chiptune, comme Bit Shifter, peuvent aussi me donner des idées sur la manière de faire sonner certains passages, ou dans la construction globale d'un morceau. Et le nombre incalculable de vidéos d'autres « musiciens de gadgets sur bureau » que j'ai regardées sont aussi des inspirations.

En fait mon set n'a à la fois pas grand chose à voir avec ça, et un peu tout à voir, c'est compliqué les influences ! C'est un patchwork de choses diverses, qui vont de l'électro des années 90 à la surf music, en passant par des esthétiques un peu drone avec des grosses nappes numériques, ou des compositions parfois plus pop. J'ai même une sorte de hora klezmer, et une reprise des Doors, donc ça part dans tous les sens, mais toujours avec ce même petit orchestre électronique, qui sonne comme il sonne.

Bon je peux quand même citer mes chouchoux du moment, 100 gecs, un duo ricain qui fait une espèce de pop punk rock foutraque boostée au Redbull et aux fraises Tagada, avec plein de sons abusés et sursaturés, et énormément d'autotune. D'ailleurs attention aux allergiques de cet effet car ça pique les oreilles, hihi. Sur leur dernier album (10000 gecs), j'adore des morceaux comme « One Million Dollar » ou « Dumbest Girl Alive », ou sur leur premier album (1000 gecs) un morceau comme « 800 db cloud ». « Hey Big Man », paru sur leur trois titres l'an dernier, me rend complètement fou. En interview, quand on leur pose des questions sur leurs influences ou leurs choix esthétiques parfois douteux, ils répondent « no more guilty pleasures », et ça c'est cool ! Ca fait tellement du bien d'entendre ça, alors que dans le milieu artistique on juge souvent à l'aune d'un prétendu bon goût, qui n'est autre, selon moi, qu'une forme de snobisme, contre lequel je me bats moi-même parfois intérieurement. « Est-ce que j'ai le droit de faire ça ? Est-ce que c'est pas abusé d'utiliser cet effet/ce son/ce style ? Que vont penser les gens ? ». Face à ces questionnements, j'essaye de me dire moi aussi « si ça te procure de la satisfaction, bah vas-y ! Après les gens aiment ou pas, c'est leur affaire. Le truc le pire qui puisse arriver, c'est de le regretter après, mais c'est franchement pas très grave. Jusqu'à preuve du contraire, ça n'offense personne et c'est pas dangereux pour la santé ! ». Les sarcastiques diront que si, haha ! Mais bon, encore une fois, la musique que je propose n'est pas vraiment comparable à la leur, ne serait-ce que parce qu'ils font tout sur ordinateur, qu'ils ont un son énorme ou qu'ils chantent des textes, et pas moi...pour le moment :-)

 

Le ep vient tout juste de sortir sur bandcamp mais y’a t’il une sortie cd ou vinyle de prévue ?

Il y aura très certainement une version physique qui va arriver dans l'été, à tirage limité, que je vendrai moi-même. Je ne sais pas encore si je réalise une duplication de cd en bonne et due forme ou un truc fait maison à l'ancienne. J'avance tout de ma poche pour ce projet, donc je fais pas de folies, le vinyle c'est pas pour tout de suite !

Je suis bien content de l'enregistrement, en tous cas. C'est mon ami JB Lebrun, avec qui je joue dans Güz II, qui a réalisé le mixage, il a donné un sacré coup de vernis à mes sons parfois déglingués. J'ai essayé, en très peu de titres, donc peu de temps musical, de donner une idée de la diversité du répertoire.

 

Qui a réalisé ce superbe logo ?

Et bien c'est Marc Barotte, un autre ami, avec qui je jouait dans SPIEL d'ailleurs. Il est graphiste en plus d'être percussionniste, et a toujours des supers idées ! Je dis que c'est un projet solo, mais en fait je fais bosser tous mes copains haha ! C'est d'autant plus vrai que je fais parfois écouter des étapes de travail à quelques proches, pour avoir un peu des avis extérieurs et pas être non plus complètement enfermé avec moi-même.

Et pour terminer, des nouvelles de Güz II ?

Après une activité très épisodique depuis deux ans et demi, on a quelques concerts qui arrivent pour l'été. D'abord le 23 juin aux Ponts-de-Cé (49), et d'autres dates en juillet, dans le 35. Il faudra aller checker notre page Facebook, qu'on va remettre un peu à jour.

On se concentre à nouveau sur le trio acoustique d'origine. On a un répertoire quasi entièrement renouvelé. Un petit album est en cours de mixage, réalisé par JB également, et il devrait arriver sous peu. On s'autorise à prendre le temps d'en être content. T'inquiètes, tu seras bien sûr tenu informé ;-)

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