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Alternative Radio

Interview DOCTOR L

Doctor L est l'éternel homme de l'ombre. De batteur au sein de la scène rock alternative française au début des 80's, en passant par beatmaker en chef des pionniers du rap français, Assassin, ou encore initiateur d'un afrobeat futuriste aux côtés de Tony Allen, jusqu'à ses albums solos et ses nombreuses collaborations, notamment en Afrique où il est désormais implanté, Liam Farrell, de son vrai nom, est revenu pour Alternative Radio sur une grande partie de sa carrière et ses projets à venir...

(Tribute mix to Doctor L: https://www.alternativeradio.fr/2024/02/tribute-mix-1-doctor-l.html)

 

Tu es Irlandais, né à Dublin. Comment arrives-tu en France ?

Mon père était un peintre assez connu localement, et son rêve était de venir à Montparnasse et de côtoyer tous les artistes installés là bas. Et en Irlande c’était l'époque des attentats, c’était une ambiance un peu pourrie, les H-Blocks, toutes ces histoires entre l’Irlande et l’Angleterre un peu relou de colonisation. C’est pour toutes ces raisons là. Et aussi, mes parents n’étaient pas très religieux et donc les histoires entre catho et protestants, ils en avaient rien à foutre.

 

Tu commences tout jeune à jouer en tant que batteur dans des groupes de rock alternatif, notamment Les Wampas

J’ai aussi été batteur de Taxi Girl quand j’étais môme. J’ai fait pas mal de groupes comme ça. J'’étais psychobilly à l’époque en fait. J’étais vraiment jeune, je sortais dans les boites de nuit et dans ce milieu à 13 ans. A la maison ce n’était pas facile, alors je me barrais la nuit.

 

Fin 80's, tu rejoins Assassin. Comment découvres-tu le hip hop ?

Pour la faire courte, c’est grâce aux Clash. Rick Rubin explique dans une interview qu’il a produit Public Enemy pour faire le The Clash des renois américains. Quand "fear of black planet" de Public Enemy est arrivé, c’était une musique d’une autre planète et ça nous inspirait.

A l’époque de "magnificent seven" des Clash, il y avait Futura 2000 derrière (NDA: graffiti artist qui a accompagné l’explosion du hip hop dans les 80’s et qui peignait pendant les démonstrations de break-dance du Rock Steady Crew ou durant les concerts de Afrika Bambataa ou de Grandmaster Flash). Quelque part, les Clash sont les prémices des Beastie Boys. Etant venu du punk, les Clash m’ont mené au hip hop.

 

Tu fais toutes les prod' du premier ep d'Assassin, "note mon nom sur ta liste", mais étrangement tu n’apparais pas sur la pochette alors qu’on y voit les trois autres membres, Solo, Rockin Squat et DJ Clyde…

Au début, j'étais un peu producteur extérieur. Solo devait faire les prod' et finalement c’est moi qui les ai toutes faites. C’était au tout début, mais dès le disque suivant, "le futur que nous réserve t-il ?", ça a changé...

 

Sur "L’ Homicide Volontaire", qui est pour beaucoup le grand disque d’Assassin, tu te retrouves seul au commande avec Squat. On sent une alchimie particulière entre vous à cette époque. Tu peux nous parler de la confection de cet album culte ?

Pour le premier, on était dans un immeuble un peu désaffecté qu’on nous avait prêté, avec des lumières allogènes et où on se les gelait grave l’hiver. Le second on l’a fait dans l’atelier d’artiste de mon frère, Malachi Farrell, un tout p’tit endroit.

Et par chance, on est parti à Los Angeles pour "L’Homicide Volontaire". L’idée était que j’apprenne bien mon métier d’ingénieur son et de producteur. A l’époque il y avait plus d’argent dans la musique. On a pris pleins d’ingénieurs différents et j’ai appris à fond.  J’avais la tête au dessus de leurs épaules et je regardais tout ce qu’ils faisaient minutieusement. Vu que je suis autodidacte, ça m a permis de beaucoup apprendre.

Mon assistant là bas à Encore Studio, c’était le mec qui a mixé tout 2Pac. Ce qui était ouf, c’est qu’ils avaient des prod' de 12 pistes et nous c’étaient des prod' de 48 pistes ! A l’époque, il n'y avait pas vraiment d’ordinateurs. On avait deux 24 pistes reliés entre eux. C’était complètement inédit la bas. On avait un mec, un ancien pilote d’hélicoptère de la guerre du Vietnam, qui nos réparait tous les jours les deux 24 pistes. Les trucs n’arrêtaient pas de planter car c’était très inhabituel de faire de la musique en 48 pistes. Je ne le referais plus. Aujourd’hui tu peux faire de la zic en 20 pistes qui sonne aussi bien. Mais c’était notre délire, on était jeune et créatif et on avait surtout envie d’être original.

 

Tu quittes le groupe peu de temps après...

Il y a eu quelques problèmes d’entente et je m’intéressais à autre chose que le hip hop français, comme l’afro-beat par exemple. J’avais envie d’apprendre la musique en fait. Et j'ai croisé pleins de musiciens incroyables du Mali, du Nigéria, etc, j’ai fais quasiment tous les pays d’Afrique de l’Ouest et d'Afrique Centrale. J’ai pu apprendre la musique et à jouer de beaucoup d'instruments.

A cette époque d’Assassin, j’étais une forme d’innovateur du sample. Pour moi le sample, c’était un art conceptuel. Pour la faire courte, t’arrivais à faire marcher Bob Marley et Jimi Hendrix avec un vieux truc de chanson française dedans par exemple. Tu crées une nouvelle musique à partir de collages. Tous les disques que j’écoutais et que je samplais, je voulais en faire partie. J’ai toujours voulu être un espèce de musicien d’un groupe psyché afro-américain des années 70.

 

On le sent dans ton évolution au sortir d’Assassin. Tu sors un premier album solo en 1998, "exploring the inside world", aux couleurs trip hop assez classique. Et dès le suivant, deux ans plus tard, "temple en every street", tu arrives à mêler toutes tes influences : afro-beat, funk mutant, électro psyché, jazz, trip hop, etc, et qui va être ta patte musicale pour les années à venir…

Un disque qui m’a beaucoup influencé dans tous ce que je fais c’est "bitches brew" de Miles Davis, qui mélange énormément de choses. Je l’ai écouté en boucle pendant des centaines d’heures. 

Je faisais des disques plus comme un terrain d’entrainement. C’est pour ça que j’en ai jamais trop fait la promo. Je faisait ça par kif. J’avais un gros studios sur Paris à l’époque. J’achetais du matos vintage en permanence. Un truc de passionné! J’étais comme un peintre qui faisait ses peintures. Je n’attendais jamais de succès autour de ça, c’était plus comme un besoin. Je faisais mes disques car je voulais être Sly Stone, les Funkadelic, etc. C’était mon rêve de môme. Je voulais être les samples que je faisais. J’ai appris à faire de la musique en les écoutant. 

Et avant de faire du hip hop, j’étais batteur de punk-rock. Aujourd’hui je peux jouer de la guitare, de la basse, des claviers....si je veux faire voir quelque chose à quelqu’un avec qui je bosse, je peux lui montrer. Quand tu produis des disques avec des gens qui ne sont pas familier avec le concept de producteur, qui est un concept très occidental, il faut leur faire voir de quoi tu parles.

Mes projets solos ont toujours été un entrainement pour perfectionner mes compétences de producteurJ'adore exercer ce rôle et être aux services d’autres artistes sur d’autres projets afin d'apprendre et de progresser...

 

"Je faisais mes disques car je voulais être Sly Stone, les Funkadelic, etc. C’était mon rêve de môme. Je voulais être les samples que je faisais."

 

Une rencontre importante pour toi dans les 90’s, c’est Tony Allen, batteur et bras droit de Fela Kuti, que tu vas remettre en selle…

En fait, je dois le connaître depuis mes 10 ans. J’ai grandi dans une cité d’artistes qui s’appelle La Ruche car mon père avait un atelier là bas. Tony Allen venait car j’avais comme voisin des musiciens brésiliens qui jouaient des percus, ainsi que le groupe Guetto Blaster, groupe pionnier de la world en France, et dont faisait partie Kiala Nzavotunga, le guitariste de Fela (et qui jouera plus tard sur pleins de mes disques). Le groupe avait été fondé par deux babtous qui sont partis à un moment au Lagos. Et malgré l’interdiction de Fela Kuti, qui pouvait être un gros casse couille parfois, Tony Allen venait jouer avec eux la nuit. J’ai d'ailleurs rencontré Fela deux-trois fois! Soli, qui a produit tous ses derniers disques, c’est un pote à moi!

Et donc, à l’époque, Tony, ça faisait environ 15 ans qu’il ne faisait pratiquement rien. Il était à la Défense et jouait dans les cafés pour 50 balles le soir. Avec les mecs de Comet Records, Eric Trosset et Manu Boubli, on l'a amené chez les "branchés". Fela, de son vivant, ce n’était pas vraiment hype. Radio Nova et Jean-François Bizot en parlait mais plus en terme politique que musical au final.

Et vous créez ensemble, avec son album "black voices", un afro-beat futuriste, imprégné de sonorités électroniques et de psychédélisme...

C’est drôle car au début Tony détestait ce que je faisais. Quelques temps avant sa mort, il est venu au Sénégal, où je vis maintenant. On passe une soirée ensemble et là il me fait un mea-culpa en me remerciant et en avouant qu’il avait été relou et pénible à l’époque, et que je lui avais ouvert pleins de portes. En fait je lui ai ouvert 20 ans de carrière par la suite. Mais c’était mérité… C’est même moi qui l’ai mis à chanter aussi, il ne voulait pas au début.

"Quelques temps avant sa mort, Tony Allen m'a fait un mea-culpa en me remerciant et avouant qu’il avait été relou et pénible à l’époque, et que je lui avais ouvert pleins de portes"

 

Ca me surprend que tu me dises ça , car après "black voices", vous montez le projet Psyco On Da Bus…

En fait ça n’a rien à voir avec lui.. Il est dessus, mais c’est moi qui faisait quasiment tout tout seul, dans le tour-bus quand on était en tournée aux States, avec l'aide tout de même de Jean Phi Dary et de Cesar Anot. En fait, à part Jean Phi, personne ne comprenait mon délire. Et d’ailleurs, la moitié des drums ne sont pas de Tony. Il y a juste le morceau "time to take a rest" où c’est vraiment lui. La plupart des autres trucs, c’est des sons que j’ai fait avec des samples et autres dans le bus, pendant qu’on tournait. C’était tellement long entre chaque dates, je me faisait chier, je faisais de la zic avec mon portable. Et quand je suis rentré de tournées, j’ai rebossé dessus. Psyco On da Bus c’est 100 % Doctor L!

 

Et pourtant ce disque à une vibe très live et organique…

Ma spécificité, là ou je suis vraiment performant, c'est que j’arrive à faire sonner des samples comme si c’était un groupe qui joue. D’ailleurs si on en revient à Assassin et que tu prends un morceau comme "shoota babylon",  il y a déjà un peu de ça. T’as l’impression que c’est joué mais il n y a rien de joué. C’est des centaines d’heures de tafs...

 

J'ai été très surpris et amusé de voir que tu avais collaboré, aux côtés de Rodolphe Burger, avec Johnny Hallyday sur une version du "chant des partisans"…

C’était l’été où un journaliste du Monde avait fait une interview avec Johnny où il avouait qu’il prenait de la coke. Et d’ailleurs a l’époque où j’ai bossé avec lui, il se défonçait comme un malade mental!

Ce gars du Monde a proposé à Rodolphe Burger ce plan. J’ai fais des disques avec Rodolphe, un des meilleurs gratteux de France doublé d’un super gars, qui m’a proposé de le faire avec lui. C’est un vrai court métrage la confection de ce titre! A l’époque Johnny avait une doublure vocale antillaise. Il y a des albums, ça ne doit même pas être lui qui chante. Il a exactement la même voix. En fait, à l’époque Johnny ne faisait pas de disques sans que cet Antillais fasse la maquette. Quand l’Antillais est venu, il envoyait tellement qu’il a explosé la capsule de mon micro, il avait une puissance dingue. En fait, Johnny c’est un chanteur renoi qui était derrière pendant plus de 20 ans je pense (rire).

 

 l’époque où j’ai bossé avec Johnny, il se défonçait comme un malade mental!!!"

 

 

 

T’as bossé aussi avec Leos Carax sur le court métrage "hymn to merde" et pour l’entracte dans "Holy Motors" où l'on peut d'ailleurs t'apercevoir...

Je suis super pote avec Denis Lavant, son acteur fétiche. J’aurais du bosser aussi sur "Annette", qu’il a fait avec les Sparks mais il est tellement spécial Carax... . C’est moi qui ai mis toute la scène dans l’église en place. C'était à partir d'une reprise d'un bluesman américain (NDA: RL Burnside) qui n'a jamais cédé les droits et je n’ai rien touché dans tout ça.

Tu réalises toi même tes clips et tes pochettes…

A la base je suis photographe, avant même de faire de la musique. Quand je suis allé à New York dans les 80’s, j’étais a fond, hyper sérieux. Je n’ai jamais arrêté de faire de la photo. Et pour la vidéo, je maîtrise un peu after-effects. C’est moi qui fais les visuels pour la plupart de mes projets. Par exemple, j'ai réalisé tous les clips de Mbongwana Star (projet monté avec deux ex Staff Benda Bilili), qui sont assez chiadés. Et d’ailleurs pour l'anecdote, c’est le seul groupe africain qui est allé à Coachella. Mais je n’étais pas avec eux car je mes suis embrouillé avec le manager peu de temps avant et je me suis donc retiré. C’est con, on avait un pur truc, c’était un live de malade!

 

Tu as annoncé en fin d’année dernière, la sortie pour 2024 d’un nouvel album, "words from the drums"

Je ne l’ai pas encore sorti celui là, j’ai juste posté deux-trois vidéos. Je cherche un label pour le sortir. C’est un truc de ouf ce disque. C’est un gars aux States qui m’a envoyé des trucs de salles des fêtes des années 70 de poésie et de spoken words par des inconnus, et il m'a proposé d'en faire un album. C’est d’un niveau d’écriture et de poésie complètement dingue! On m’a dit que des rappeurs super connus auraient volé une partie de ces textes. J'ai tout remonté et fait de la zic dessus. C’est surement un des meilleurs trucs que j’ai fait. Nicolas Baby, le bassiste de FFF, avec qui on est pote depuis super longtemps, est en train de monter un label et je vais peut être le sortir dessus. Et j’ai vraiment envie de le sortir en physique et d'en faire un bel objet avec un bouquin illustré par mon frère Malachi qui est un artiste incroyable…

D’ailleurs tu as monté avec lui, qui est plasticien, le spectacle "Collateral Fiction" au centre Pompidou en 2014, et pour lequel vous aviez crée des machines animés...

Tout à fait! D'ailleurs, beaucoup des trucs utilisés avec Bantou Mental, dans les clips notamment, viennent de l’atelier de mon frère. Bantou Mental, c’est un super projet, avec un peu un côté punk congolais…

 

Récemment, tu as remixé Dead Prez, Public Enemy, sorti le morceau "la bestia" avec le rappeur cubain Russo de Orishas. Tu n’aurais pas envie de faire à nouveau un disque 100% hip hop ?

Avec Squat, on avait parlé il y a quelques années de refaire un disque d’Assassin. Mais là il est bien occupé. On est pote, on se parle régulièrement. Quand il aura un instant, peut être qu’on va le faire….

D'autres projets?

Je viens de sortir un disque avec la chanteuse malienne Babani Kone ("many traps"). Je vis au Sénégal et j’ai produit pleins de trucs locaux. J’ai monté une sorte de label digital, Black Door Studios. J'ai mis pleins de nouvelles tracks et d’inédits sur bandcamp (doctorl.bandcamp.com), et bientôt sur spotify et les autres plateformes. J’ai des centaines de tracks que personne ne connaît, qui était sur des b.o de films et autres. Si je dois crever dans les 15 ans, tout existera et sera dispo..

 

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