18 Novembre 2024
Al-Qasar s'apprête à sortir le 29 novembre prochain leur troisième album enregistrement, "uncovered". L'occasion de publier ici l'article du fanzine Oui-Ouïe dans lequel Alternative Radio avait soumis en 2022 13 titres relatifs à l'univers du leader de cette formation d'"arabian fuzz", Thomas Attar Bellier.
Devil’s Anvil : selim alei (1967)
Obligé de commencer par Devil’s Anvil. La première fois que j’ai entendu Al-Qasar, j’ai tout de suite pensé à eux, Al-Qasar sonnant un peu comme une version 2.0
Ca me fait très plaisir de commencer par cette track. Cet album, c’est le mélange parfait d’une instru garage rock d’un côté, et du oud, du bouzouki et de la darbuka de l’autre. Il a représenté un point de départ dans la création de Al-Qasar. On a rapidement évolué vers un son plus personnel, plus unique, mais cet album est toujours dans un coin de ma tête.
John Berberian & Rock East Ensemble: the oud a the fuzz (1969)
Autre précurseur de ce mélange, John Berberian et son guitariste Joe Beck....
Et voilà le deuxième album qui a servi de base pour poser les jallons de Al-Qasar. On retrouve une superbe instru bien vintage et garage psyché, et des envolées de oud à l’ancienne. Ca sent la fumée de haschich dans les sous-sols miteux du Caire à plein nez. Mais il est assez intéressant de noter que ces deux albums ont en fait été enregistrés aux US.
Kyuss : gardenia (welcome to sky valley - 1993)
Ta précédente formation, Blaak Heat Shujaa, avait de fortes influences stoner, et qui dit stoner dit Kyuss...
En effet, même si nous avons toujours tendu vers le côté plus psyché de cette scène. C’est pour ça que nous étions plus Kyuss que Clutch, plus Dead Meadow que Tool. Kyuss, il y a cette intensité et texture ultra heavy, mais imbibées de weed et LSD. It’s heavy mental, man. On a d’ailleurs enregistré deux albums et un EP chez Scott Reeder, bassiste de Kyuss, dans son ranch au milieu du désert californien.
Alice In chains : grind (s/t - 1995)
On retrouve pas mal d’harmonies vocales à la Layne Staley et Jerry Cantrell sur le premier album de Black Heat Shujaa...
C’est amusant que tu relèves ça. Je n’ai jamais été très Alice in Chains, moi c’était plutôt Soundgarden, Nirvana, Melvins, Mudhoney.
Ennio Morricone : the ecstasy of gold (le bon, la brute et le truand - 1966)
Influence que l’on retrouve dans ta musique, notamment le break génial de « ballad of Zeta Brown » de Blaak Heat
Ne nous voilons pas la face, je suis un gros fan de westerns spaghetti. Les bons, mais aussi (surtout ?) les mauvais. J’ai passé trois ans à la guitare dans Spindrift, une formation western psyché de Los Angeles fondée par des membres du Brian Jonestown Massacre. Morricone était notre dieu. Ses soundtracks sont dans mon ADN, j’ai découvert la trilogie du dollar à l’âge de 10 ans et ces sons et ces visuels ne m’ont jamais quitté.
Chicha Libre : tres pasajeros » (sonido amazonico - 2008)
A chaque fois que j’entends « selma » de Al-Qasar, je pense à ce morceau de Chicha Libre (et vice versa), qui est pourtant bien différent puisqu’on nage ici en pleine cumbia psyché
Et encore un album que j’apprécie tout particulièrement. J’écoute beaucoup de cumbia (surtout la cumbia péruvienne psyché des 70s, la chicha, qui intègre des guitares psyché-surf), et ça se ressent parfois dans les grooves de mes compos.
Gnawa Youmala : madinga (dounya - 2020)
Ancienne formation de l'ex chanteur d'Al-Qasar, Jaouad El Garouge. Comment s’est fait la connection ?
On était programmés aux Nuit Zébrées de Radio Nova à Bordeaux, dans un Rocher de Plamer à guichet fermé (1 200 personnes !). A 10 jours du concert, nous n’avions pas de chanteur. Jaouad était un ami d’ami dont je connaissais le travail, mais je ne voyais pas encore nécessairement la connexion, la magie du truc. C’est seulement après ce premier concert que j’ai compris qu’il avait sa pierre à ajouter à l’édifice, qu’il pouvait étoffer le son et mettre la grosse teuf en live.
Mohamed Abozekry & Heejaz (2013)
Un extrait de cet excellent 1er album de ce virtuose du oud et qui a participé à Al-Qasar
On a eu l’honneur d’avoir Moh Abozekry au oud en 2019 pour plusieurs concerts (dont le légendaire Festival des musiques du monde de Sines, au Portugal), et il a également posé sur quelques titres du EP Miraj. C’est assez amusant car dans le collectif qui constitue Al-Qasar, on a à la fois Mohamed, le « petit Mozart du oud », chouchou de la critique, et Mehdi Haddab, le bad boy du oud électrique, le Lemmy Kilmister de la musique orientale, le briscard qui a tourné du Yémen au Mexique en passant par le Burundi. J’ai développé de nombreuses amitiés au Caire grâce à Moh Abozekry. On a notamment fait une résidence à Makan, un lieu underground historique du Caire fréquenté par les musiciens du zar (un rituel de transe mystique semblable au gnawa), et où Moh a beaucoup traîné quand il était gamin.
Emel Mathlouthi : everywhere we looked was burning (2019)
Chanteuse tunisienne dont tu as remixé ce morceau
Emel est une des grandes figures du Printemps Arabe, que je suis depuis longtemps. C’était un honneur que son manager me propose de tenter un remix, et elle l’a tellement apprécié qu’elle l’a sorti sur Partisan Records en 2020. Plus qu’un « remix », je me suis lancé dans un « rework », en construisant toute une instrumentale pop rock psyché vintage autour de sa voix.
O Gajo : electro santa (subterrâneos - 2021)
Excellent guitariste portugais que j’ai découvert grâce à votre collaboration pour le titre « da bica para as estrelas ».
Je joue également sur la piste « Chuva Obliqua » de cet album. O Gajo (Joao Morais, dans la vraie vie) est celui qui m’a introduit à la « viola campaniça », une guitare traditionnelle de la région de l’Alentejo, au sud du Portugal. Après nos deux collabs, il m’a invité à jouer sur une tournée portugaise, aux côtés de quelques légendes locales (Carlos Barretto à la contrebasse, José Salgueiro aux percus). Avec To Zé Bexiga en guest, nous étions trois joueurs de viola campaniça sur scène, ça envoyait sévère. Un peu comme si Rodrigo y Gabriela avaient terminé dans un vieux film de Manoel de Oliveira.
Sonny Simmons & Moksha Samnyasin : help them through this world (nomadic - 2014)
Une figure méconnue du free jazz, pour qui tu as produit ce magnifique album, et qui décédé en 2021...
J’ai rencontré Sonny en 2011 lorsque j’ai déménagé à New York via le producteur de free jazz Julien Palomo. Ça a tout de suite matché entre nous, malgré les 44 ans de différence d’âge et nos vies totalement opposées. Il m’a pris direct sous son aile et m’a vite invité à jouer sur plusieurs albums avec lui, aux côtés de légendes New-Yorkaises du free (William Parker, Dave Burrell, Grachan Moncur III, Warren Smith). A 24 ans, j’étais le gamin blanc en studio que les vieux pontes du free regardaient de travers, avec la moitié de la scène qui se demandait « mais comment ce kid a eu le job, et pas moi » ? « Nomadic », c’est une idée un peu folle de Julien et moi-même, qui a tout de suite branché Sonny à cause du côté psyché. Ca rejoignait des explorations qu’il avait entamées dans les années 1960-1970, et je crois également qu’il avait très envie de jouer avec une grosse batterie. Ca m’a mis un gros coup ou moral quand il est décédé. Les histoires que ce mec pouvait raconter, c’tait incroyable… de la ségrégation dans le sud aux violences policières à Los Angeles, de ses sessions avec Jefferson Airplane à ses années homeless à San Francisco… C’est un bouquin d’Histoire qui se referme, qui s’évapore pour toujours. Ce vieux salaud nous laisse avec Maître Gims et les influenceurs Tik Tok.
Elias Rahbani : dance of Maria (mosaic of the orient - 1972)
Al-Qasar a repris ce morceau de ce grand Monsieur de la musique libanaise décédé en 2022.
En 2020, avant de sortir « Miraj » (le EP sur lequel figure notre reprise de Dance of Maria), j’ai envoyé la track à la maison d’édition Chahine, l’éditeur libanais historique qui possède également le label légendaire « La Voix de l’Orient » (c’était notamment le label de Fairuz). Ils ont fait écouter la track à Elias, qui a indiqué qu’il nous donnait son accord pour la sortir. Légalement parlant, je n’avais pas besoin de son aval, mais ça fait quand même grave plaisir pour le principe !
El-M3allem : al qasr (7’’ - 2019)
En tapant « al qasar » sur ce google, je suis arrivé sur la page bandcamp de ce dj Egyptien (merci pour cette découverte par ricochet :) ) qui s’inscrit dans la mouvance electro-shaabi comme Islam Chipsy & Eek, Acid Arab….
Je recommande vraiment le docu de 2013 « Underground/On The Surface » sur l’émergence de l’electro shaabi et notamment de Oka et Ortega comme deux grosses stars du mahraganat. Ces gars là sont les punks d’aujourd’hui : après la révolution de 2011, avec quelques vieux PC crackés et des micros tout pétés, ils ont réussi à créer un mouvement populaire massif (ça se chiffre en millions/milliards de vues sur Youtube) en totale opposition à la culture que l’Etat égyptien essaie d’imposer. Les artiste electro-shaabi se sont d’ailleurs tous fait virer de la société des compositeurs égyptiens début 2020.
Al-Qasar - uncoverred (29/11/2024)