8 Février 2025
À la question "Qu'est-ce qu'un B-boy ?", on pourrait répondre en un mot : Solo. L'un des tout premiers breakers français au sein des Paris City Breakers, pionnier du rap hexagonal avec le groupe Assassin, directeur artistique de la B.O. de La Haine, mais aussi beatmaker et DJ, Solo a tracé une carrière aussi riche que variée. Il vient de publier son autobiographie, "Note mon nom sur ta liste". Une occasion idéale pour lui faire passer notre "Musical DNA Test" !
Jimmy Castor Bunch : "it’s just begun" (1972)
Deux raisons de débuter avec cette pépite funk. Tout d'abord, Assassin l'a samplé sur le morceau "note mon nom sur ta liste" (et qui également le titre de ton livre) et aussi, c'est la musique de la fameuse scène de Flashdance où l'on peut voir le Rock Steady Crew en action pour une démonstration de breakdance...
Ah, la fameuse scène de Flashdance. Franchement, je sais plus si je connaissais ce morceau avant de voir le film. Mais cette scène mythique, elle marque tellement les esprits. Pour beaucoup d’entre nous, c’était un peu le point de départ de cette culture. Une vraie explosion, une révélation.
Il y a plein de choses qui gravitent autour de cette scène, et musicalement, elle a laissé une empreinte de fou. J’avais quoi… 16 piges ? On était à fond. J’avais déjà vu du breakdance avant, mais là, ça a été un vrai déclic. Cette scène, où se succèdent Mr. Freeze, Ken Swift et Crazy Legs, ça a été un moment clé. Ça a marqué un tournant dans mon obsession pour le break. Une étape plus que cruciale.
Afrika Bambaataa & Soulsonic Force : "planet rock" (1982)
Forcément, un de tes gros chocs musical, l'arrivée de l'electro-funk et de Afrika Bambaataa...
Ce morceau, comme «Al-Naafiysh» de Hashim ou «Planet Rock» d’Herbie Hancock, c’est pour moi ce qui symbolise cette projection dans le futur, telle qu’on l’imaginait à l’époque. L’espace, la robotique, les extraterrestres… C’était ça, le futur !
Avec le recul, on s’est rendu compte que cette esthétique, ce look, ça venait de Sun Ra, puis de George Clinton. Mais à l’époque, on n’en savait rien, on était trop jeunes.
Et puis, y avait cette approche naïve, hyper joyeuse du futur. Aujourd’hui, je suis pas sûr qu’on le percevrait avec autant d’optimisme.
Musicalement, c’était un vrai shift : on passait de la funk à un truc carrément futuriste. On savait pas trop où on allait, mais on y allait à fond. Des machines, des robots… C’était le futur, quoi !
RUN DMC: "sucker mc's" (1983)
On aurait pu citer de nombreux représentants du hip-hop des années 80, mais j’ai choisi ce titre emblématique de RUN-DMC, car ce groupe semble t’avoir profondément marqué.
De fou, une vraie folie. D’un coup, t’as ce côté hyper dur, cette ambiance froide, genre "moi, je rigole pas". Et en même temps, y a cette hybridation avec le rock.
Tu sens que ces mecs sont ancrés dans la culture black, parce que c’est la culture du beat. Mais ils ont une vraie ouverture, et ça se ressent avec cette influence rock, grâce à Larry Smith (le producteur des débuts), qui leur a ouvert un spectre sonore bien plus large, pas juste connoté musique black.
Et Sucker MC’s, c’est les prémices de ça. C’est le moment où ils cherchent à sortir du schéma disco/funk qui dominait à l’époque. Là, y a rien d’autre que du beat. Pas de guitares, pas de basse… juste du beat.
Et derrière, ils continuent cette hybridation rock avec des morceaux comme Hard Times, 30 Days, Rock Box, etc. Quand leur premier album est sorti, je venais d’arriver à New York… J’ai pété un câble en entendant ça !
The Clash: "futura 2000" (1982)
Les Clash, comme d'autres artistes punk et rock du début des années 80, ont mis en avant la culture Hip Hop. Notamment avec la tournée New York City Rap Tour auquel participait Mick Jones, ou encore ce morceau assez méconnu, avec en invité le prodige du graph', Futura 2000. De ton côté, as tu été marqué par la musique punk ou le rock?
À l’époque, pas vraiment le punk, mais du rock, oui. Un des premiers albums que j’ai achetés, c’était le premier Téléphone. Quand j’ai commencé à apprendre à mixer, je mixais un morceau de ce premier Téléphone, je crois que c’était « Hygiaphone », avec « Peter Piper » de Run DMC.
Ali Farka Touré: "chérie" feat. Oumou Sangaré" (1995 / 2023)
Très belle collaboration entre ces deux grands représentants de la musique Malienne. Tu as passé pas mal de temps au Mali dans ta jeunesse. As tu été marqué par la musique de ton pays d'origine?
Dans ma jeunesse, oui, mais après, beaucoup moins. Plus tard, j’ai essayé de recoller les morceaux, de rattraper une partie de mon histoire que j’avais un peu mise de côté ou qui m’avait échappé. Je me suis intéressé à lui, et ça représente vraiment le côté de la culture malienne qui me bluffe. Des gens qui, avec rien, sont capables de tout. Il était presque analphabète, il a tout appris en autodidacte et il a développé un style unique, reconnu par des musiciens du monde entier.
Ça m’a forcément touché, mais influencé, je sais pas. Mais comme j’ai baigné dans la musique africaine quand j’étais gamin, ça fait partie de ma construction, c’est sûr.
Je ne connaissais pas cette collaboration, et j’ai été vraiment ému de voir ces deux figures majeures de la musique malienne collaborer de cette manière. Tu sens que c’est fait avec une spontanéité, un truc authentiquement africain, en quelque sorte.
Phil Barney: "funky rap" (1982)
Peu de gens le savent mais l’interprète de "un enfant de toi" est peut être le premier à avoir rappé en français, en rappant sur les génériques de son émission sur Carbone 14. As tu été marqué par les pionniers du rap en français comme lui, Destroy Man, Lionel D, etc...?
Oui et non. Oui, parce qu’ils nous ont donné envie de dépasser leur niveau, et surtout, ils nous ont montré comment le faire à la française, à notre manière. Mais à l’époque, on était vraiment tournés vers le rap américain, c’est surtout ça qu’on regardait.
En réécoutant ce morceau, je me rends compte que c’était en 82. Nous, avant de commencer à rapper correctement, il a fallu attendre 87 ou 88.
NTM: "pour un nouveau massacre" (1993)
J'aurais pu choisir pleins de morceau du Suprême. Mais j'ai opté pour celui-ci car Kool Shen dédicace Assassin sur le premier couplet. Et pourtant l'entente entre les deux groupes n'a pas toujours été au beau fixe....
Moi, perso, personne de leur groupe ne m’a jamais interpellé directement. Tout ce que j’ai entendu, c’était des trucs qui tournaient autour de Squat. On en est arrivé à une histoire de personnalités et d’ego plus qu’à quelque chose de vraiment construit et fondé. Après, est-ce que ça devient une histoire de concurrence? Peut-être… C’est ma perception, mais sinon, y a pas grand-chose à dire.
Cette relation avec eux n'a pas crée une émulation entre vous?
Je ne pense pas. Pour eux, peut-être que ça a compté, mais pour nous, Assassin, non. On était dans notre tunnel, concentrés sur notre taf, sans vraiment prêter attention à leur évolution.
Notre focus, c’était notre vision, notre exigence. On les respectait, bien sûr, ils tenaient la barre, mais on n’était pas focalisés sur eux. D’ailleurs, on avait plutôt l’impression qu’ils s’inspiraient un peu de nous—dans leur manière de s’organiser, de devenir plus sérieux… Un chemin qu’on avait déjà emprunté avant eux.
À nos yeux, on leur montrait une direction, même si, en réalité, ce n’était pas forcément le cas. Mais l’arrivée de Doctor L a marqué un tournant en production, il a fait évoluer le niveau, c’est indéniable. Et Squat, de son côté, a atteint un certain niveau en rap. Pourtant, on n’était pas dans la comparaison.
À l’époque, on tournait sur pas mal de petites scènes et on s’était forgé une réputation de shows ultra carrés. Ce niveau, on l’a atteint avec du temps et du travail, que ce soit sur scène ou en studio. Et c’est peut-être là qu’on a pu les influencer : en leur montrant comment se structurer, étape après étape, pour bâtir quelque chose de plus solide.
Psykopat: "psyko I" (1998)
On reste dans l’univers de NTM. Sur "Paris sous les bombes", tu signes la prod' de "Popopop!!", tandis que DJ Clyde, qui avait lui aussi quitté Assassin peu avant toi, se retrouve derrière une bonne partie des prods de cet album. Un autre apport majeur à ce disque, c’est le duo Psykopat, qui y a joué un rôle essentiel...
Carrément ! Pour moi, ils ont joué un rôle non négligeable dans le succès de Paris Sous Les Bombes. Leur apport au niveau rap sur cet album est énorme. Malheureusement, ils n’en ont pas vraiment tiré les lauriers, et c’est dommage.
Mais on est nombreux à s’accorder sur un truc : le niveau rap de "Paris sous les bombes, c’est en grande partie grâce à eux. Que ce soit au niveau du style, des flows, de la manière dont c’est découpé, des backs… Y a pas photo, la question ne se pose même pas.
ONYX & Biohazard: "judgment night" (1993)
Tu as réalisé la b.o inspiré du film "La Haine". Étrangement tu cites comme influence la b.o. de "judgment night", où l'on retrouvait des collaborations entre la crème du metal et du hip hop de l'époque...
Judgment Night, c’était plus qu’un simple mélange de rap et de metal. C’était un projet qui explorait un véritable spectre, pas seulement musical, mais aussi en termes de possibilités. Jusqu’où pouvait aller cette fusion ? Quels artistes pouvaient s’intégrer et s’élever ensemble dans un même élan ?
Ce qui frappait, c’était de voir des groupes de premier plan, issus des deux univers, accepter le défi et mêler leurs styles. Pas de compétition, pas de mise en avant d’un plus que l’autre—juste une énergie commune, propre à cette époque où chacun poussait dans la même direction. Ils ont emmené ça si loin, de façon tellement inattendue…
C’est exactement ce qui nous à motivé, Mathieu Kassovitz et moi, quand on en a parlé. Imaginer une compilation du même calibre, rassemblant les meilleurs de notre génération. C’est là que la comparaison avec Judgment Night prend tout son sens.
Sens Unik: "le vent tourne" (1995)
Justement, un extrait de la b.o. de "La Haine", avec pour moi l'un de ses meilleurs morceaux, avec "sacrifice de poulets"...
Grâce à ma position, j’ai pu jouer un rôle de fédérateur, et honnêtement, je doute que ce projet aurait vu le jour sous l’impulsion de quelqu’un d’autre. Pour certains, il a fallu forcer un peu le passage… Que ce soit Ministère Ämer ou Sens Unik justement, y avait pas mal de gens dans le rap français qui se demandaient pourquoi ils étaient là.
J’ai été époustouflé par ce que chacun a fait. Comme on dit en anglais, ils sont tous venus avec leur A game…
Vu la façon dont tu as claqué la porte d'Assassin, on peut être surpris de les retrouver dessus...
Le but, c’était pas de rentrer dans des querelles de clocher. Je suis bonne pâte, bon esprit. Cependant, honnêtement, je suis pas sûr que si ça avait été dans l’autre sens, ça se serait passé pareil. Mais je me suis pas occupé des discussions, des négos. Et effectivement, ils ne pouvaient pas ne pas en être...
Uncle O: "huey & dewey" (2008)
Un morceau d’Uncle O, figure emblématique de l’underground hexagonal. Illustrateur d’affiches de concerts post-punk, new wave, funk et rap dès le début des années 80, il est aussi l’architecte des compilations Shaolin Soul et Cosmic Machine. Sans oublier son rôle de cofondateur, à tes côtés, des soirées Toxic…
C’était la folie. Pour moi, on revenait aux racines de la culture hip-hop, du moins musicalement. Avec Uncle O, on partage une passion pour les influences multiples : electro, new wave, funk, rock, disco… Toutes ces hybridations qui nous inspirent et qui ont nourri le hip-hop.
On a eu la chance d’organiser des soirées où l’on mixait tout ça à notre manière, en y insufflant la culture qui nous anime : la culture hip-hop. Dans ces moments-là, tout pouvait arriver : un morceau punk surgissant de nulle part, un vieux groove funk, une pépite electro, une envolée krautrock… Les soirées Toxic, pour moi, c’étaient exactement ça !
On a tenu ces soirées pendant une douzaine d’années, surtout à Paris, mais aussi en province et à l’étranger : Italie, Angleterre, Hollande, Espagne…
Solo: "trop d'sangsues" (2021)
En 2021, tu sors la track "Trop d’sangsues", 23 ans après le maxi "Cauchemar sans fin / Lyrics de furieux". Dans quel état d’esprit étais-tu à ce moment-là ? Avais-tu l’intention de te remettre sérieusement au rap ?
C’est toujours ce truc-là… Je vais être honnête, j’ai ce sentiment de quelque chose d’inachevé, perso. Musicalement, j’ai toujours l’impression de ne pas avoir poussé mon cheminement jusqu’au bout, comme si j’étais resté en cours de route. Du coup, j’ai toujours cette voix dans ma tête qui me dit : "Faut que je fasse un projet, que j’aille au bout de mes idées, que je développe ce que j’ai en moi."
Sauf qu’en vrai… il y a toujours autre chose qui prend le dessus. Et au final, ça ne se fait pas. Mais à un moment, je me dis : "Donne-toi les moyens, mets-toi sur le chemin." Et pour moi, me mettre sur le chemin, c’était déjà refaire quelque chose.
Un jour, Dawan – qui était aussi dans le crew Assassin – m’invite dans son studio. Il me fait écouter un son, je kiffe, j’écris un truc direct et je le pose. Dans ma tête, je me disais que j’allais en faire d’autres… mais justement, c’est pas dans la tête que ça se passe, c’est dans le concret.
Mais entre bosser pour manger, faire du sport pour rester bien, et gérer tout ce qui tourne autour… au final, il reste peu de temps.
RCKQST: "NY network" (2020)
Impossible de ne pas glisser un morceau de Rockin’ Squat! As-tu suivi son parcours, aussi bien avec Assassin après ton départ qu’en solo ?
Musicalement, y a eu quelques morceaux qui sortaient vraiment du lot, notamment "Underground Connexion" avec Supernatural. Mais franchement, ça me parle rarement. Ce son-là, j’ai trouvé l’instru intéressante, et ce qu’il disait aussi… (quoique, j’aurais des trucs à redire, mais bon...). Après, pour être honnête, je suis pas vraiment à fond sur son flow ni sur sa manière de délivrer. C’est pas ma came...
Son analyse est très égocentrée. C’est dommage, parce que du coup, ça perd de vue le lien commun et le postulat de base, la perception qu’on en avait au départ. Comme Joey (Starr) m’avait dit un jour : "Tu ne sais pas ce qu’il y a dans la tête de ton pote". Avec le temps et le recul, je me rends compte à quel point c’est vrai.
Le truc qui me chiffonne avec ce livre, c’est l’incompréhension du camarade Squat, je n'ai eu aucun retour de sa part... Ce qui aurait été bien, c’est qu’il puisse capter ce que j’ai essayé d’exprimer, qu’il fasse preuve d’un minimum d’empathie, qu’il essaie de se mettre à ma place. Moi, je me suis mis à sa place, et je peux comprendre que, par moments, il ait pu se sentir abandonné. Je peux comprendre que ça l’ait poussé à réagir d’une certaine manière. Mais faut regarder tous les aspects. Et là, j’ai pas ce sentiment… et franchement, c’est un peu blessant.
Dinos: "du mal à te dire" featuring Damso (2020)
Le rap français actuel, du moins dans sa partie la plus visible (car l’underground regorge toujours de MCs affûtés qui pratiquent un rap sans concession), semble s’être dissous dans un grand bain de variété, au point de souvent ressembler davantage à Vitaa & Slimane par exemple qu'à Gang Starr ou Mobb Deep. Pourtant, à ses débuts, le rap français était un énorme "fuck" à la variet', et aujourd'hui beaucoup d'acteurs de ce mouvement ont les deux pieds dedans...
Pour illustrer ce propos, je t’ai mis un morceau de Dinos & Damso, mais j’aurais tout aussi bien pu choisir du Ninho, Vegedream, Werenoi ou bien d’autres…
C’est clair, le rap a évolué, et aujourd’hui, il y a un vrai tournant avec ces influences variété, zouk et plein d’autres styles qu’à l’époque on exécrait ou qu’on mettait de côté. C’est l’hybridation que la nouvelle génération a voulu y apporter. Ça leur appartient, mais perso, c’est pas vraiment ma came.
On ne rappe plus pour les mêmes raisons, ni avec les mêmes intentions. Et ça, ça change tout. Il y a toujours un côté "subversif" dans l’appellation et le soi-disant style, mais dans le contenu ? Le vrai côté subversif, celui qui nous caractérisait par le choix des sujets, la manière de les délivrer, le positionnement… tout ça est passé à la trappe.
On est arrivé à un stade où être hip-hop ou faire du hip-hop, c’est devenu un tremplin social, un positionnement qui n’a plus rien à voir avec l’essence du truc. La subversion du hip-hop s’est diluée.
Donc ouais, pour certains, c’est de la variété. Ils peuvent appeler ça "rap" s’ils veulent, mais le rap, ça doit rester ce que c’est censé être : "Rhythm and Poetry". Et where is the poetry ???
SOLO
"Note mon nom sur ta liste - Mon histoire du hip hop"
(Massot Editions)